Anthropologie politique et religieuse de la parole, XVIè-XVIIè siècles

Programme de recherche dirigé par Monique Weis (Luxembourg), Jérémie Ferrer-Bartomeu (FNRS) et Paul-Alexis Mellet (Genève)

https://parole.hypotheses.org

Le projet de recherche « Anthropologie politique et religieuse de la parole (XVIè-XVIIè siècles) » envisage de s’interroger sur la question de la parole, depuis sa genèse moderne à sa profusion contemporaine, mais également à son impact. Il vise en particulier à mettre en lumière l’importance de la problématique de la gestion de la parole dans les sociétés modernes. Dans un paradoxe tout à fait fascinant, la parole oscille entre abondance et rareté : le pouvoir qu’elle détient lui provient de cette dernière et son utilisation doit donc être parcimonieuse et, surtout, contrôlée. C’est ainsi que des stratégies communicationnelles et des acteurs institutionnels naissent ou se développent afin de maîtriser la production, la diffusion et la réception de la parole politique. Cependant, ils ne sont pas seuls détenteurs du « verbe politique » et les crises successives qui secouent la première modernité encouragent une amplification des discours : l’opposition se multiplie en même temps que les pôles de production, l’imprimerie rend la diffusion plus aisée mais plus incontrôlable, et le pouvoir sacré de la parole souveraine est mis à mal par de nouvelles concurrences. Dans la gestion des crises politiques et religieuses de la première modernité, la parole est à la fois problème et solution.

*Colloque international à l’Université de Genève, 17-18 février 2022

(Ab)jurer sa parole : promettre la guerre et s’engager pour la paix pendant les crises de l’époque moderne (XVIè-XVIIè siècles)

Le colloque de Genève a porté sur la parole promise et sur les différentes formes que cet acte peut recouvrir (serment, charte, foi jurée, profession de foi, confession, menace, malédiction, etc.). S’interroger sur l’acte performatif qu’est le don de parole – comment jure-t-on et quelles sont les conséquences des mots prononcés ou signés ? −, c’est se questionner à la fois sur les modalités linguistiques, institutionnelles et rituelles qui sous-tendent cette pratique et, plus encore, repenser les liens de confiance et d’alliance, le capital symbolique mis en gage par les deux parties : qui jure, et pourquoi cette pratique revêt une telle importance dans la société d’Ancien Régime ? Nous voulons interroger les éléments constitutifs de la parole jurée, en particulier son media (l’oral, l’écrit ou des formes hybrides) et son effectivité.

Deux questions sont centrales : comment est construite la promesse ? Qu’est-ce qu’elle produit en termes d’impact sur le présent et le futur de la situation d’énonciation ? Il est alors nécessaire d’interroger la source de la valeur du serment, les gages donnés pour les parties, mais également les acteurs (producteurs et/ou détenteurs de la parole). Ces jureurs peuvent s’engager pour eux-mêmes, mais aussi pour une entité plus large, puisque jurer implique non seulement un gage personnel mais aussi communautaire, soit collectif et gouvernemental. De ce fait, peut-être faut-il envisager l’acte de jurer comme le symbole de la convergence de volontés plurielles. D’une parole jurée, on peut ainsi mettre en exergue les ressorts d’un dispositif politique et religieux largement utilisé et persistant, par une déconstruction minutieuse des contextes et des pratiques, afin d’observer sa pluralité en tant que discours et idées. Cela nous amène à considérer l’économie de la parole dans son écriture, sa proclamation, sa conservation et ses changements.

Plusieurs domaines se présentent à des analyses ouvertes aux différentes sciences humaines : par exemple les préambules légaux et la manière dont ils introduisent les conjurés, les serments qui entourent les paix dites de religion, le règlement des conflits ou au contraire les déclarations de guerre, la promesse royale ou princière (qu’elle soit directe ou indirecte), les sermons de guerre, la traîtrise et l’abjuration, les savoir-faire administratifs liés à l’acte du don de parole, la matérialité de cette pratique, la force perlocutoire des mots jurés, l’iconographie du serment, ses évolutions et ses permanences, etc.

*Colloque international à l’Université du Luxembourg, 15-16 septembre 2022

En parlant – En écrivant. Complémentarité, concurrence et hybridation entre écrit et oralité (Europe, XVIè-XVIIè siècles)

Le colloque du Luxembourg poursuit les interrogations du colloque organisé à Genève en février 2022 sur les éléments constitutifs de la promesse et son effectivité à l’époque moderne, tout en déclinant de nouveaux aspects de ce vaste domaine de recherche : les rapports complexes entre écrit et oralité dans l’Europe des XVIè-XVIIè siècles. Les deux modalités d’expression et de communication font l’objet depuis quelques années d’un intérêt renouvelé. Beaucoup de travaux récents sont ainsi consacrés aux « pratiques de l’écrit » dans les chancelleries, secrétaireries et autres bureaux, dans les officines et comptoirs de divers types, ou encore dans les institutions religieuses des principales confessions chrétiennes. Les ressorts de l’oralité ont quant à eux été remis à l’honneur par de nouvelles approches des cérémonies politiques et judiciaires, par le renouveau de l’histoire diplomatique et par des études pionnières sur la prédication.

En revanche, les relations entre écrit et oralité ont été peu thématisées et analysées. Elles renvoient à des questions importantes liées à l’histoire de l’époque moderne et à ses sources. Comment s’articulaient les passages de l’oralité à l’écrit ? En situation de concurrence entre les deux modalités, comment se faisaient et s’expliquaient les choix ? Dans quels contextes l’oralité vient-elle dupliquer, conforter, compléter ou modérer voire concurrencer ou même contredire l’écrit ? Lorsqu’il y eut davantage de complémentarité, quelles furent les influences réciproques, notamment mais pas uniquement du point de vue formel ? Une attention particulière doit être accordée aux phénomènes d’hybridation entre l’écrit et l’oralité dans différents domaines, périodes et contextes. Ils peuvent être étudiés au moyen de documents variés, dans une approche qui ne sépare pas strictement l’histoire religieuse de l’histoire politique, mais qui mobilise des concepts inspirés par l’anthropologie historique, les études culturelles et littéraires ou encore l’analyse des discours. Enfin, quelles sont les traces de l’oralité dans les sources de l’époque moderne, quels sont ses marqueurs spécifiques et comment les acteurs des 16e et 17e siècles en envisageaient eux-mêmes la conservation ?

La notion de « performativité » est centrale pour les questions de recherche qui sous-tendent le colloque « En parlant-en écrivant » et qui irriguent tout le projet collectif. Dans le sillage du performative turn, beaucoup de travaux se sont penché sur les rituels publics et leur mise en scène, sur le rôle clé des gestes et du corps, ainsi que sur les sources visuelles, bref sur des aspects non verbaux. Mais il ne faut pas négliger la place des mots, qu’ils soient dits ou écrits, dans les différents lieux et milieux sociaux de l’Europe pendant les XVIè et XVIIè siècles. Aussi, les fonctions performatives de la parole sont-elles au centre de ce deuxième colloque. Cette approche permettra de questionner à nouveau frais les périmètres mouvants du dicible et de l’indicible, du pensable et de l’impensable, du nommable et de l’innommable, dans le processus de confessionnalisation comme dans les conflits politiques et géopolitiques qui scandent la première modernité.